Harry Clark, Tales of Mystery and Imagination by Edgar Allan Poe

Harry Clark, Tales of Mystery and Imagination by Edgar Allan Poe

Un défi posté tout les mercredis sur la page Le Conteur ... Tentons l'expérience, des fois que je sois un jour capable de me soumettre à une contrainte. (c'est un peu gore si jamais)

 

Une forte odeur de fer embaumait les lieux. Adèle avait été appelée par Fred, un des camés qui l’aidait parfois dans ses enquêtes, en échange de sa discrétion. Pas un mauvais gars, juste un drogué tout ce qu’il y a de plus triste à voir. Il avait entendu des cris dans un hangars près duquel il squattait souvent avec sa bande. Plutôt faiblard et ne sachant pas se défendre, il était parti et a préféré prévenir le détective. Elle au moins, elle avait un flingue et savait s’en servir.

Des cris dans un hangar, c’est tout ce qu’elle avait comme information. Des cris de plusieurs personnes dans un hangar. C’était plutôt léger mais Fred ne se trompait jamais. Quand il appelait c’était souvent grave et malheureusement irréparable. La fin d’après-midi déposait son voile de brume dans la zone, pas franchement nette. Pas étonnant qu’elle était devenue un lieu privilégié pour les squatteurs, même les flics n’osaient pas trop y mettre les pieds. Avant d’entrer, Adèle avait regardé par toutes les fenêtres mais il faisait déjà trop sombre pour voir quoi que ce soit de précis dans ce hangars de taule certainement abandonné depuis un paquet d’années. Quelques grosses bouteilles de verre brillaient au peu de lumière qui parvenait à pénétrer les vitres sales. La porte, immense, coulissante, était légèrement entrouverte. Elle entra, longeant les parois, son arme sortie. Pas un bruit, et cette odeur de fer, écœurante.

Elle sortit une lampe de poche de son sac et balaya la pièce de lumière. Elle en avait vues, des scènes de crimes, des corps écharpées, torturés, configurés en positions inhumaines. Pourtant, jamais elle n’avait vu une chose pareille. Le hangar avait été converti en une sorte de salle d’opération de fortune avec du vieux matériel d’hôpital, récupéré ou volé. Le sang répandu sur la table n’avait pas encore tout à fait séché. Les traces laissaient supposer que le corps de la victime a été déplacé, morceau par morceau. Un haut le cœur saisit la poitrine d’Adèle lorsqu’elle se demanda si elle avait au moins été tuée avant d’être découpée.

Derrière le matériel médical avait été dégagé un assez grand espace au sol, au dessus duquel pendait une grosse ampoule. L’enquêtrice partit en quête de l’interrupteur, histoire de se préparer à ce qu’elle allait voir. L’odeur était concentrée à cet endroit, elle n’imaginait que trop bien ce qu’étaient devenus les morceaux de chair. Elle en profita pour examiner encore les lieux. Outre le coin chirurgie et l’espace attenant, le hangar ressemblait à tous autres lieux désaffectés qu’Adèle avait vus. Débarras de tout et rien, les habitants du quartier voisins avaient du prendre l’habitude de s’y soulager de leurs encombrants. Dans un coin, sur des matelas troués, étaient bazardés des vieilles couvertures humides d’où s’échappait une forte odeur de moisissure, presque rassurante parce que permettant d’oublier tout le sang qui devait avoir coulé ici. Mais l’interrupteur enfin trouvé rappela Adèle à la réalité. Instinctivement, elle bloqua sa respiration au moment de l’enclencher et de se tourner vers ce qui devait être un charnier.

Un charnier, le mot était faible. Placés en cercles concentriques, des morceaux de chair à l’état de putréfaction plus ou moins avancé semblaient dessiner un motif occulte. Leur placement semblait méthodique. Des têtes échevelées, yeux fermés et tournées vers le centre du cercle, formaient quatre points cardinaux. Les oreilles avaient été découpées et placées de part et d’autre de chaque tête, suivie des mains et des pieds. Entre chaque cercle ainsi constitué, trois au total, les autres morceaux ainsi que les viscères avaient été répandues. Encore un rituel à la con qui n’avait pas marché. Peut-être le corps pendu du criminel se cachait non loin de là, ravagé par l’échec. La scène avait quelque chose de fascinant. L’idée que quelqu’un ait pu faire une chose pareille, si consciencieusement, dépassait l’entendement. Adèle ne sut choisir entre un croyant fou en une divinité occulte comme il en existe des dizaines ou un être inhumain et aux désirs affreusement glauques. Aimer faire souffrir, aimer tuer, elle en avait croisé des comme ça. Elle tournait autour du charnier, essayant d’en comprendre la logique, d’en déceler des détails qui lui auraient échappés. Elle s’aperçut que les doigts des mains, plus précisément les indexes, se pointaient par paire, entre mains les plus proches, comme pour fermer le cercle par des lignes imaginaires. Tout au centre, le cercle était vide. A moins que le petit monticule de terre battue faisait partie de la chose et avait été placé là dans un but précis. Quoi qu’il en fut, Adèle ne reconnut là aucun des rituels qu’elle avait déjà rencontrés.

Elle revint aux instruments de chirurgie disposés sur des tables et désertes à roulette, histoire de poser ses yeux ailleurs. Il ne s’agissait pas là d’opérations délicates. La plupart ont été réalisées à la scie. Celui ou celle qui avait fait tout cela n’y connaissais pas grand-chose vu leur état, à moins que ce furent les victimes qui, en se débattant, les avaient tordues. Un frisson d’effroi parcourut Adèle. Fred avait un nœud inhabituel dans sa voix lorsqu’il l’avait appelée. Certes, c’était toujours pour des crimes horribles mais, cette-fois, il avait réellement peur. Les cris qu’il avait entendus avaient du être terrifiants. La jeune femme chassa tant bien que mal cette idée de son esprit et se concentra sur l’analyse de la scène. Le jour tombait de plus en plus et l’ampoule suspendue, bien qu’aidée d’une lampe de poche, n’allait plus suffire bien longtemps à l’éclairer. Quelques autres outils, des scalpels notamment, avaient été utilisés, sans avoir été nettoyé après la dernière opération.

Un léger bruit, comme le glissement discret d’un serpent dans le sable, la fit sursauter. Elle prit son arme, se retourna et balaya la pièce du regard. Rien. Elle s’avança, doucement, le cœur serré, vers le charnier. Quelle conne, se dit-elle. Ce n’était pas la première ni la dernière fois qu’elle voyait un tel rituel, elle n’allait tout de même pas se mettre à y croire. Elle examina d’abord le monticule puis chacun des cercles jusqu’à ce qu’elle vit les doigts. Impossible. Elle jura qu’un des doigts avait changé de position pour pointer le centre. Elle avait du mal voir la première fois, c’était la seule explication. Un autre bougea ! Tout doucement, il se tourna lui aussi vers le centre, suivi du troisième, du quatrième et de tous les autres. Adèle fit un pas en arrière sans pour autant baisser le regard. Les têtes ! Les yeux s’ouvrirent soudain. Le monticule se mit à pulser dans un toudoum régulier. Malgré les tremblements d’horreurs, Adèle ne pouvait décrocher son regard.

Soudain, ses genoux lâchèrent d’un coup. Dans sa chute, elle laissa tomber son arme et sa lampe pour se retrouver mains ouvertes, paumes tournées vers les cercles. Sa mâchoire se détendit elle aussi, la laissant bouche-bée. Elle voulut se débattre, reprendre le contrôle mais elle n’était plus que spectatrice de son corps qui se laissait aller malgré elle. Les pulsations se propagèrent à tout le charnier, secouant les viscères dans une danse grotesque. Celles-ci se soulevèrent tout d’un coup, comme des serpents, sous le regard impassible des têtes coupées. Elles dégagèrent un passage vers lequel Adèle se sentit glisser, emporter. Des intestins qu’elle n’avait pas vu l’approcher et l’enserrer à la taille la tiraient vers le centre du cercle. Elle voulut hurler mais aucun son ne sortait de ses lèvres qui ne pouvaient trembler parce que trop détendues. Son cœur, doucement, cala son rythme à celui du sol. Elle se sentit défaillir mais son corps résistait, le dos droit et les mains conservant leur position. Lorsqu’elle fut bien au centre, le cercle se referma et les tripes vinrent la rejoindre, l’encercler. Jusqu’aux épaules, elles l’emmaillotaient méticuleusement, sans qu’elle put se débattre. Son corps fut alors aspiré dans le sol, ou dans le vide. Dans une endroit chaud, brûlant, si bien qu’elle eut l’impression d’entrer en combustion spontanée dès qu’une nouvelle partie d’elle se trouvait sous le sol. Seul son visage resta épargné, contraint à regarder l’ampoule qui l’éblouit au point que des tâches noires virent envahir sa vue. Ses bras et ses jambes restèrent ballants, comme abandonnés, et brûlèrent doucement. La lumière s’éteignit doucement, clignotant et grésillant. Ses sens ne semblaient plus répondre, trop pris de douleur pour ressentir autre chose. Un seul cri put s’échapper, lorsque le visage souriant de Fred apparu au-dessus du sien.

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