La science des interstices

Paris, ville lumière. Partout, le quai est piqueté de signalisations scintillantes, dont certaines clignotent, tantôt d’usure, tantôt d’impatience. Rouge, interdit, vert, mon salut. La flèche du panneau SORTIE repérées, je file parmi la foule que je ne parviens pas encore, moi, provinciale mal dégourdie, à me contenter de suivre.

Il y a quelque chose de fascinant dans ces mouvements massifs, ces vagues humaines dont l’écume BCBG, cravate au col, escarpins aux pieds et mallette à la main, se déverse dans le labyrinthe du métro, emportant les flots anonymes avec elle. Je suis plutôt de cette partie-ci, plus molle et tranquille, à laquelle les surfeurs débutants, pour le plaisir du rouli, peuvent se raccrocher. Outre mon ciré jaune et mon bonnet bleu à pompon, un autre détail, je crois, me distingue de la foule parisienne. Nez en l’air, je suis à l’affût de chaque panneau, chaque lumière. Plutôt que de foncer tête baissée dans un itinéraire que mon corps connaît par coeur, je regarde où je vais, et je suis lente. Une vraie emmerdeuse, en somme.

Seulement, cette fois, je ne peux que me résoudre à presser le pas pour ne pas me perdre, ou être piétinée. Il est 14h, nous sommes gare Saint Lazare. Nous tous qui formons cette marée, vomie par les portes béantes d’un RER sale. Pardon, excusez-moi, merci, désolée, pardon. Je joue des politesses plutôt que des coudes, la technique ne s’avère pas très probante, mais j’aurai eu le mérite d’essayer. Je m’extirpe de la rame qui m’accouche. Quelle chance ont les parisiens de naître ainsi, si souvent. Le premier souffle n’est cependant pas pour tout de suite. Avant, il faudra sortir, non pas de la rame, non pas du quai, mais de cette gare, que j’emprunte pour la première fois.

Me voilà donc, tout près du panneau SORTIE, à deux bousculades de l’embouchure de l’escalator. S’il y a une chose que la capitale m’a apprise, c’est l'enchâssement. Cette capacité de s’intercaler, en un éclair, au moment opportun, entre deux voyageurs. La réputation des files d’attentes françaises n’est plus à refaire : gros tas de gens à l’entrée de quoi que ce soit, ce chaos a tout de même une certaine organisation. Entrera qui sera rapide, certes, mais en ordre. Sont prioritaires, parce que mieux placés, ceux arrivés dans l’axe de l’escalator et qui peuvent alors s’élever sans effort, tout droit sur ses marches. Ensuite viennent les décalés, qui n’avaient pas eu le bon goût de se placer correctement dans la rame et doivent ainsi jouer de vélocité pour s’insérer dans la file. C’est mon cas et c’est mon tour. Coup de chance, un couple à l’imposante poussette barre le passage. Une jeune femme se faufile, un instant trop tard, une seconde, il est temps. N’écoutant que mon envie de respirer autre chose que du renfermé, je sautille jusqu’à l’entrée de l’escalator et, enfin, me voilà portée vers les cieux. D’autres étages m’attendent encore, avec leurs exercices d’interstices, mais la technique est là, même si ce n’est que pour un ciel gris parfum pétrole.

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