Relecture ratée

J'ai voulu, pour marquer la transition entre les deux premiers tomes de Dune, me replonger dans la lecture des Faux-Monnayeurs d'André Gide que j'avais du lire en première année de prépa et que je n'avais pas réussi à finir (comme la plupart des livres à lire de cette époque, d'ailleurs). Je me souviens avoir bien aimé ce livre, son histoire, ses personnages. J'aimais bien les analyses que ma prof en faisait, aussi.

Mais là, le vide.

Je m'ennuyais pendant ma lecture, n'arrivais pas à avancer. Ce n'était pas parce que je me souvenais trop de ce qui était écrit et qui aurait pu me donner une impression de déjà lu, de prémâché. Quand j'ai lu le premier tome de Game of Thrones après avoir vu la première saison de la série c'est en grande partie à cause de cette sensation de redite que je n'ai pas réussi à terminer le livre.

Cette fois c'est différent.

En relisant les noms des personnages, en me souvenant des lieux, je me remémorais cette année de prépa, ce cours de lettre. Je revivais en pensées, pendant que mes yeux parcouraient les lignes du roman, de l'ambiance tendue et fatiguée de cette classe, tout en haut de l'annexe du lycée, où la buée envahissait les fenêtres. Je me souvenais du parfum de cette prof, reconnaissable entre mille, de sa fausse gentillesse et de ses exigences stupides. Je me revoyais aller aux toilettes juste pour souffler un peu, ne plus avoir son parfum dans les poumons, pour voir la neige par les fenêtres limpides du couloir.

Pour tous ces souvenirs réanimés, je ne parvenais pas à fixer mon attention sur le roman et m'égarais alors dans ces moments désagréables.

C'est assez étrange de se rendre compte d'à quel point un livre peut renfermer des souvenirs tout autres que ceux qu'il contient dans ses mots. Les Faux-Monnayeurs restera le roman qu'on a du lire en hypokhâge, dans cette salle trop chaude et trop humide, avec cette prof trop parfumée.

J'imagine que si je relis L’Assommoir, je me retrouverai sur la pelouse de la cours de mon lycée, pendant le baccalauréat, dans le train qui me conduit de Fes à Meknes. Peut être qu'en me replongeant dans Vive la République, de Marie-Aude Muraille, je retrouverai le confort de la petite branche du U du canapé à carreaux de notre première maison, à Fez.

J'aime bien cette idée qu'un livre n'est pas uniquement ce qu'il contient pour le lecteur. Qu'il peut devenir un lieu de mémoire, une petite boîte à souvenirs dans laquelle on range nos émotions, nos perceptions.

Dommage pour les Faux-Monnayeurs, quand même.

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