La soupe

Le parquet craque sous les pas pressés. L’eau boue et fait remuer le couvercle de la casserole dans une cacophonie odorante. Les légumes cuisent sagement, potiron, pommes de terre, carottes. L’ail et les oignons ont disparus, tout comme les feuilles de laurier et le bouillon en poudre. Le feu est baissé, le couvercle retiré et remplacé par une cuillère en bois, meilleure des barrières contre les débordements. La hotte aspirante est allumée, couvrant de son bourdonnement les bloups et les pops de la future soupe. Les lunettes s’embuent à la recherche d’un morceau à tester. Trop dur, encore, il faut laisser mijoter.

Entre temps, une miche de pain est découpée en tranches déposées dans le four pour griller un peu. Au parfum de l’automne s’ajoute celui du petit matin. Il fait nuit, cependant, depuis seize heures. Les mains se réchauffent un peu au-dessus de la casserole bouillante, avant d’essuyer et ranger la vaisselle abandonnée la veille.

Les épices ! Presque oubliées. Muscade, cannelle et une pointe de piment. Le sel et le poivre attendront le tour après les coups de mixer. L’atmosphère s’adoucit encore un peu plus. La soupe devient une jolie pâtisserie, de celles qu’on garde un instant en bouche pour en savourer chaque nuance. Le nez se promène, comme dans ces dessins animés où le gourmand est piégé par une traînée d’odeurs suaves. Il se promène dans la petite cuisine, cherchant l’endroit où la vapeur se diffuse le mieux. La hotte est éteinte. Les narines se dilatent pour accueillir ce que la machine n’aspire plus.

Un gros nuage orangé s’évapore de la casserole. La cuillère ? Où est-elle ? Elle n’était plus à son poste, et, bien trop grande, n’avait pas pu tomber dans le bouillon. Le visage se penche dans la brume épicée, rien à signaler. Rien du tout, si ce n’est ce grand étang orange et jaune qui danse de plus en plus fort. Les bloups et les pops sont assourdissants, ils explosent en bulles de cannelles. Une lampée serait trop risquée, peut-être même mortelle. Pourtant, doucement, la langue se tend et se penche. Elle s’approche, touche presque la surface glougloutante tandis que les lunettes semblent fondre sous l’insoutenable chaleur.

Et puis, la sonnette du four retentit. Les croutons son prêts !  

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